samedi 16 avril 2011

20 ans que ça dure

La première fois que je l'ai vue, je ne l'ai pas vue.
Petit grain de folie perdu dans le gris, elle était minuscule, invisible, aussi impalpable que le rêve qu'elle réalisait.

La première fois que je l'ai vue, elle se battait. Nidée du mauvais côté de mon utérus replié, elle avait si peu de chances de l'emporter que la gynéco m'a dit : "Vous recommencerez dans quelques mois..."

Elle se trompait.

La première fois que je l'ai vue, je l'ai grondée. Tu m'as fait tellement mal mon bébé, oh la la, que tu es grosse, tu m'as fait mal... Elle s'en fichait, elle hurlait plus fort que moi.
Elle était aussi blonde que ses aînés étaient bruns, aussi déplumée qu'ils étaient chevelus, et si potelée, oh si potelée que j'ai passé toutes ses premières semaines à la croquer.

Ça a été un bébé extraordinaire, un trésor, un miracle chaque jour renouvelé. Elle était là et j'avançais. Sans rien dire, en souriant, simplement, elle traçait mon chemin. Au plus profond de ma solitude, elle me tendait toujours la main : Maman, viens...

C'est devenu une petite fille incroyable. Elle jouait aux poupées avec sa soeur, aux voitures avec son frère, elle vivait à cent à l'heure, en se retournant de temps en temps pour vérifier que je suivais. Si jolie avec ses boucles blondes et ses yeux verts, elle riait comme on respire, et je suffoquais de bonheur.

Elle a grandi en une seule nuit. Ou bien je me suis endormie : j'ai fermé les yeux un peu trop longtemps, et sur la pointe de ses larmes elle est partie. Pendant des années je l'ai cherchée, elle m'échappait dès que je croyais l'apercevoir, brume irréelle, violente bourrasque, coups de tonnerre et sombres jours, elle s'échappait. J'ai fini par ne plus la voir.

Les anniversaires se sont succédés, une petite étoile a illuminé brièvement sa nuit noire avant de filer, à son tour. Je me suis couchée, fatiguée.

Un jour, le miracle s'est renouvelé. Des petits doigts se sont accrochés aux siens, des yeux noirs ont planté leur regard dans ses paillettes dorées, elle a souri, elle a fondu, elle est revenue. Solide, intransigeante, obstinée et pourtant si fragile, elle a posé ses heures solitaires au milieu de nos vies, incontournable, elle mène sa barque tant bien que mal, sans bien comprendre parfois, mais décidée à réussir.

Je l'entends chanter quelquefois, et rire aussi. Et je me rappelle ce soir-là, il y a 20 ans maintenant... 20 ans.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Punaise que c'est beau ! Quelle belle et merveilleuse déclaration d'Amour d'une mère à sa fille.
Tu es géniale, Petite Grenouille Chérie, n'en déplaise à certain(e)s

Madame Nicole a dit…

C'est très émouvant

lolodelanormandie a dit…

et que ça dure 100 ans de plus !
bises :)