vendredi 3 juillet 2009

Ici la Voix

La porte claque derrière moi.
Le couloir étend sa peinture crasseuse, il me prend l'envie soudaine d'acheter un pot de laque pour recouvrir cet orange glauque et visqueux qui m'accueille à chaque entrée.
Mais j'entends déjà les piaillements haut-perchés de la proprio : "Aucun changement sans mon accord !"...
Qu'importe ! J'avance dans la cuisine dévastée, la vaisselle sale a envahi l'espace et semble surgir au fur et à mesure que mon regard balaie la pièce. Dans le fond, j'aperçois la longue table où s'attardent les invités.
J'installe le bébé sur son trotteur gonflable, il empoigne gaiement la grosse tête bleue et rouge de son canard et s'éloigne vers le jardin.
Il fait chaud, ma chemise légère en flottant autour de moi crée un courant d'air si agréable... Michel se lève en me voyant, il prend ma main et m'attire à l'écart, mon dos s'appuie contre le mur du coin, nos visages sont délicieusement proches, le souffle court, les lèvres entr'ouvertes, je frissonne et ferme les yeux.
Mais il tombe à genoux sur le carrelage, sa tête faiblit et se plie, il rampe vers le seuil en râlant : "J'ai froid, j'ai si froid tout à coup ! je ne sais pas si le soleil reviendra demain..." Dehors, le ciel s'est assombri, de lourds nuages noirs se déchirent autour de la lune tremblante.
Je hurle qu'il faut ramener le petit, l'appeler encore et encore de tout notre amour pour qu'il revienne : "Bébédou ! Bébédou !"
La Voix me réplique qu'il est trop tard, j'aurais dû mieux choisir, et j'aperçois la chemise rouge sang de Nagui. Il s'approche, prend ma main, m'enlace fiévreusement mais je me débats, supplie la Voix, m'aggrippe aux nuages sombres en pleurant : "S'il te plaît, s'il te plaît, je veux bien l'aimer mais mets-le dans le corps de Michel !"
Mes cris ont fait surgir le bébé, à cheval sur son canard il jaillit des nuages et je l'appelle, mes cajôleries se fondent dans le doux sifflement du plastique qui se dégonfle, bébédou mon amour, nous ne t'abandonnerons jamais, dors, dors.
Je l'emporte au creux de mes bras vers la véranda octogonale, aux stores de bois exotiques, avec son splendide lit blanc à baldaquin dont le haut fait mezzanine : un bureau y est installé, j'inspecte les chaises blanches, les larges plans brillants, mon regard se porte loin vers la forêt d'un vert sombre.
Émerveillée, je demande à mon fils : "Mais comment as-tu fait pour l'emporter sans qu'elle le voie ?"

Hum. Faut que j'arrête de m'endormir devant la télé moi.

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