Trocart : Instrument chirurgical composé d'un poinçon cylindrique à bord tranchant, monté sur un manche et contenu dans une canule. (Larousse Médical)
Vu de près, ça ressemble à un tire-bouchon design, pas méchant du tout. Le sourire du toubib va bien aussi, pour un peu je m'attends presque à voir débarquer l'infirmière avec une bonne bouteille et du saucisson...
Quand il m'allonge la tête à plat, les bras écartés, les jambes un peu relevées, il m'explique vaguement : "Je vous mets à l'aise, pour éviter le malaise." Je réprime un début de fou-rire devant la rime vaseuse. C'est sûrement nerveux.
Désinfection, badigeonnage, il déplie le champ, l'installe. Attrape une seringue avec une longue aiguille fine. "On y va ?" Euh... oui. A ce stade, je me vois mal prendre la poudre d'escampette hein.
C'est l'anesthésie. L'aiguille pique, le produit brûle. Je suis une grande fille : je souris bravement. Un peu plus crispée quand il bouge l'aiguille : aïe. "Ça fait mal ?" Ben oui, un peu. On attend. Le produit s'écoule lentement, ça brûle de plus en plus, puis enfin les sensations s'estompent.
Mais qu'est-ce qu'il fabrique maintenant ? Il se met à taper A L'INTÉRIEUR, sur l'os, il tape à droite, à gauche, fort, de plus en plus FORT ! Eh oh, ça va pas non ? C'est pas un peu fini ton cirque ? Non. Ça dure, ça dure, ça y est, c'est malin, les larmes me montent aux yeux... "Vous sentez encore quelque chose ?" Mais oui je sens ! Abruti !
Il attrape enfin son tire-bouchon sophistiqué, et entreprend de me visser le machin dans le thorax. Il appuie fort, visse, appuie : mais je vais finir par traverser le lit si tu continues mon gars, oh !
Je crois qu'il ne m'entend pas. Je crois que je ne dis rien en fait. Alors il continue à appuyer comme un malade, je le vois s'arc-bouter et j'entends le lit grincer sous son poids. Au secours ! Mes larmes coulent maintenant. J'étouffe, je n'ose pas respirer ou le repousser. Et soudain, un craquement horrible, un sourire victorieux sur ses lèvres : mon os a cédé, le poinçon l'a pénétré.
Vite, il sépare la poignée en deux, introduit dans la partie fichée en moi une grosse seringue en plastique. Tout se passe là, juste sous mon nez, et je sens venir le trou noir. Les yeux au plafond, pour ne plus voir, je me concentre de toutes mes forces sur cette drôle de trace là-haut.
Je sens couler mes larmes derrière mes oreilles, sur le drap, je renifle, je ne veux plus entendre ou voir ses manipulations. Le temps ne passe plus, seul le médecin s'agite dans cette chambre figée, je suis clouée sur le lit par un énorme pieu qui pointe sous mon menton.
Enfin, il s'approche, retire d'un geste sec tout cet attirail qui me plombe la respiration, nettoie, panse, s'éloigne.
"C'est terminé." Tant mieux.
"Vous pouvez vous rhabiller." Ah non je ne peux pas : mes bras battent l'air, ils ne m'obéissent plus. J'ai un mal fou à viser les trous de mes manches. C'est pitoyable.
Il me salue, roule son chariot dans le couloir, referme la porte. Je n'ai rien dit. Assise sur le bord du lit, à moitié engoncée dans mon tee-shirt de travers, j'ai le menton qui tremble et une boule au ventre.
L'infirmière qui arrive me rallonge, me rassure, m'enveloppe de mots que je ne comprends pas. "Ça va aller, ça va passer..." J'ai froid, j'essaie de me recroqueviller mais tout mon corps est endolori, et dans le bas de mon dos monte une brûlure que je reconnais.
Une minisieste cahotique plus tard, entrecoupée de prises de sang et d'un électrocardiogramme, j'ai enfin le droit de manger, et surtout de boire ! Il est 13h, je n'ai rien avalé depuis la veille au soir.
Mon fils vient me chercher, je rentre à petits pas, cassée. "Pas d'efforts pendant au moins 24h, prenez du paracétamol si vous avez mal." J'ai mal. De plus en plus, au fur et à mesure que la soirée avance.
J'ai avalé un cintre, et sa poignée est restée coincée dans mon gosier. Je suis Dark Vador et mon armure a été glissée sous ma peau. Un GrosMinet m'a repérée, ma cage de Titi déplumé a remplacé mes côtes.
Je ne peux plus respirer. Je n'arrête plus de pleurer. Je gémis, et cette mélopée finira par m'endormir. Quelques heures hachées par mes réveils terrifiés, mes combats désespérés pour repousser l'éléphant bleu qui me piétine, arrêter cette perceuse infernale, éviter le camion qui me percute, encore et encore, au rythme des battements de mon coeur.
Cet enfer durera presque deux jours. Ce matin, pour la première fois depuis l'examen de mardi, je me suis réveillée sans mon armure, presqu'étonnée de mon aisance retrouvée.
A quel moment m'a-t-on prévenue que ce serait si douloureux ? Hum.
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