mardi 19 mai 2009

Je n'aime pas les assistantes sociales

Il y a dix ans, je suis venue passer deux semaines dans un bungalow près de Portiragnes, dans l'Hérault. Vacances de Pâques, avec mes deux filles, une amie collègue, et ses deux garçons. Mon fils était à cette époque aux Antilles, avec son père.
Vacances très chouettes, le soleil commençait à pointer, en tout cas on le voyait bien plus que dans notre triste banlieue parisienne.
Au retour, m'attendait un courrier de l'Inspection Académique, ma demande de mise en disponibilité m'était accordée...
Ça faisait quatre ans que je participais à toutes les commissions de mutation et permutation, sans succès, à cause de mon tout petit barême et de mon peu d'ancienneté. Pas de conjoint à suivre, pas d'enfants malades à éloigner de la ville, pas de vieux parents à soigner... Aucune chance de passer avant de longues années.
J'étais alors "juste" institutrice. Mon projet était de passer le concours de prof des écoles, je pensais pouvoir ainsi entrer à l'IUFM de Montpellier.
Autre illusion : j'imaginais que, comme tant d'autres autour de moi, je toucherais des allocs et autres RMI, pour survive à cette année sans salaire. En se serrant un peu la ceinture, c'était jouable, les enfants auraient été boursiers, et hop ! A nous le soleil et la plage !

Las ! Ma directrice de l'époque, qui m'avait il est vrai beaucoup aidée à sortir de la tempête du divorce, a considéré que j'avais perdu la tête. Après plusieurs semaines de pressions et manoeuvres diverses pour me faire renoncer à mon projet, elle a cru bon de prévenir les services sociaux de l'Académie.
Une première assistante sociale a débarqué à l'école, pour "s'entretenir" avec moi. Innocente, j'ai exposé mon plan, qu'elle a méthodiquement détruit point par point. Les bourses ? les demandes étaient bouclées depuis trois mois déjà. Les allocations ? pas avant plusieurs semaines, le temps de transférer le dossier. Le RMI ? pas accordé à ceux qui délaissent volontairement un emploi salarié. Le concours ? interdit à ceux qui sont déjà enseignants.
Et le coup de grâce ... "Saviez-vous que votre ex-mari peut s'opposer à votre déménagement ?" Mais... ça fait deux ans qu'il s'est barré aux Antilles et qu'il ne paie pas la pension, au nom de quoi il aurait son mot à dire ? "Au nom de l'autorité parentale, madame, tout simplement !"

Là, c'en était trop. Je me suis levée si brusquement que la table s'est renversée, et je me suis enfuie, laissant - grave erreur - la directrice et l'assistante sociale ensemble.
Deux semaines après, nouvelle attaque, nouvelle assistante, chez moi cette fois. Bêtement je l'ai invitée à rentrer : si j'avais su...

Un mercredi ordinaire avec trois enfants de 8 à 13 ans. La vaisselle de la veille accompagnait celle du petit déj, pris à midi. Le linge sale d'une semaine s'entassait devant la machine, celui propre de la semaine d'avant dormait dans le panier. Les jouets et accessoires divers recouvraient chaque centimètre carré dans les chambres, les couettes-cabanes avaient déserté les lits. Les cahiers de la grande se battaient avec les livres éparpillés par terre.
Elle a regardé tout autour d'elle, avec un air pincé. Les trois gamins, encore en pyjama, ont débarqué dans le salon en se disputant.
Vous avez remarqué ce curieux phénomène ? C'est toujours quand vous êtes au téléphone qu'ils se mettent à hurler en se poursuivant tout autour de vous. Ça marche aussi avec les visites.

"Hum. Ils ne sont pas allés au collège ce matin ?"
Euh non. Leurs profs avaient des conseils, je ne voyais pas l'intérêt de les réveiller pour les envoyer en salle de permanence.
Nouveau regard circulaire, nouveau toussotement. Elle s'est levée, m'a tendu la main, est partie. Dix jours après, j'ai reçu le double d'un rapport recommandant de confier mes enfants à leur père, car je me montrais "totalement incapable de leur assurer la sécurité et le cadre de vie adapté à leurs besoins les plus essentiels." En vrac, ils étaient sales, mal nourris, déscolarisés, et visiblement très malpolis. Et risquaient de finir sous les ponts l'année suivante, si je ne renonçais pas à mon "projet stupide autant qu'irresponsable".

J'ai dû renoncer à ma dispo. Annuler mon préavis. Reprendre une classe. M'engager à suivre une psychothérapie. Accepter les visites de contrôle de mon domicile, à l'improviste.
Les enfants ont été inscrits dans un collège privé, près de chez ma mère, qui les nourrissait le midi. Avec une heure de métro par jour. La petite a dû manger à la cantine.
Pendant six mois, la rage au coeur, je me suis battue pour que la dépression, cette vieille amie, ne reprenne pas le dessus, leur donnant raison, livrant mes enfants à leur père.
En décembre, j'ai découvert que je pouvais présenter le concours interne dans l'académie de mon choix. Mes insomnies se sont peuplées de cours et de révisions, et je l'ai décroché en juin 2000. Nous avons déménagé, et refait notre vie tranquillement ici.

Ce soir je suis retournée sur la plage de mes belles vacances, il y a dix ans. Mes souvenirs sont là, intacts. Ma rage aussi.

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