lundi 8 février 2016

An tan lontan


J'avais 20 ans, ma petite dans les bras je défiais la vie et l'avenir d'assombrir mon sourire.

Je revenais de loin, je me doutais que le chemin serait encore long... Mon bébé en bouclier, je rassemblais encore ces liens effilochés, mon coeur au bout de la ficelle, pour lui tisser une famille.

Elle est arrivée dans un drôle de contexte, celle-là. La barre bleue n'avait pas encore séché sur le test de grossesse que je hurlais à tous les vents ma fierté. J'avais réussi. J'étais allée au bout de mon projet, de mes rêveries. J'étais enceinte. Ou plutôt, j'attendais un bébé.

Oui, j'attendais. Mon quotidien s'est alourdi, comme mon pas, mais mon sourire s'est arrondi, comme mon ventre. Enfin. J'ai abandonné les cours, à quelques semaines de mes partiels. J'ai appelé ma mère, et son rejet immédiat m'a confortée : cette vie que j'abritais était bien la clé de ma propre vie, libérée, loin de ses choix.

Je souriais.

Mon père, près de moi, entamait lui aussi un virage essentiel. "La voisine" avait nourri son chien, posé une assiette de crêpes sur sa fenêtre, guettant son retour depuis la sienne. Il a traversé pour la remercier, elle lui a servi un café, ils se sont écoutés, puis épousés.
J'aime quand il me raconte : "On prenait un panier avec le café les tartines, on traversait la route pour aller chez moi, en wouikinde, en amoureux..."
A eux deux, ils ont réparé bien des dégâts chez moi : le couple, les grands-parents, mon papa, la maman qu'elle était pour ses enfants... Je les regardais s'aimer, et je me disais que mon tour viendrait.

Le 28 octobre dernier, elle épluchait les légumes pour la soupe lorsqu'elle est tombée sous la table. Double embolie cérébrale.
Il l'a cherchée quand il est remonté du jardin, il l'a appelée, cherchée encore. J'imagine sa détresse lorsqu'il l'a vue allongée, inconsciente.

"On ne peut pas parler de miracle, nous n'utilisons pas ce mot," ont dit les docteurs.  
Aujourd'hui je reste persuadée que c'est leur amour profond, sincère, immense, qui l'a ramenée chez elle. Chez eux. Elle est sortie du coma, elle ne voyait pas très bien, ne marchait pas. Depuis Noël, elle rentre chaque wouikinde, retrouver son amoureux.
La semaine dernière, un toubib lui a dit qu'elle quitterait l'hôpital dès qu'elle pourrait monter l'escalier. Vendredi, fermement soutenue par les deux ambulanciers, elle a grimpé les 12 marches vers la terrasse, vers lui, qui l'attendait, les larmes aux yeux.

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